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Anamosa
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Comprendre ce qui nous arrive, ce qui nous est arrivé... Tel est l'enjeu de ce livre. Avec les outils des sciences sociales et de celles de la psyché, le sociologue Marc Joly, spécialiste de la sociologie du pouvoir et de la violence morale, décrypte avec efficacité la crise démocratique que nous vivons à partir d'un cas, celui du président Macron.
À la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale, le 9 juin 2024, nombre de commentaires ont fleuri sur la " folie " d'Emmanuel Macron, " artisan du chaos ". Le ressentir et le dire est une chose ; analyser en quoi consiste précisément cette pathologie au pouvoir en est une autre. C'est tout l'enjeu du patient travail de Marc Joly. Tenant d'une véritable articulation de la sociologie avec la psychanalyse, prolongeant une vaste enquête consacrée à la catégorie de " perversion narcissique ", il dévoile ce qui est effectivement en jeu : une folie narcissique que colmate une perversité accomplie et qui, en conséquence, rejaillit sur tout un peuple.
Pour mettre des mots (et du savoir) sur le décervelage que provoque la personnalité d'un président usant sans la moindre considération éthique de toutes les prérogatives que lui offre la Constitution de 1958, l'auteur perce à jour les différentes dynamiques et relations sociales à l'oeuvre : crise de la violence symbolique ; " folie à deux " ; masculinité toxique et capitalisme prédateur ; fantasme monarchique de la Ve République. -
Émeutes contre la vie chère, émeutes raciales et anti-policières, émeutes anti-immigrés, émeutes publiques quasi-insurrectionnelles... Toujours imprévisibles, extra-légales et illégitimes, les émeutes sont devenues, en ce début de XXIe siècle aussi diverses qu'innombrables, et l'auteur en fait le tour et retrace l'histoire du mot.
À l'ère de la globalisation des révoltes, l'émeute paraît en être la forme par excellence, de Pointe-à-Pitre (2009), Alger (2011) et São Paulo (2013), à Clichy-sous-Bois (2005) à Athènes (2008), Tottenham et Liverpool (2011), Hambourg (2011), Ferguson (2014) et Minneapolis (2020), en passant par le
" Printemps arabe " (2011-2013), l'insurrection à Hong Kong (2017-2019) et le mouvement des Gilets jaunes (2018-2019) ; et même en Chine, sous la qualification de " urban disorders ", dans le Xinjiang (2009), Wukan (2011 et 2016), ou encore Yugao (2013). Souvent spectaculaires et hypermédiatisées, ces violences collectives dites " urbaines " se muent en spectacle dans la société du même nom, vidées de leurs significations politiques.
Alors bien sûr, il y a émeutes et émeutes - frumentaires, ouvrières, xénophobes et racistes, raciales, carcérales, interethniques, urbaines, publiques, etc. Et l'inflation récente de cette notion a tendance à l'associer à toute révolte faisant usage de la violence, comme en Nouvelle-Calédonie ou au Royaume-Uni en 2024. Or l'émeute, si on reprend sa définition comme " soulèvement populaire spontané ", désigne une forme de protestation collective bien définie. Il en existe plusieurs généalogies dont Michel Kokoreff ressse les grandes lignes. L'émeute a donc une histoire avec ses logiques, ses règles, ses acteurs, ses imaginaires, ses spectres aussi. Elle n'est pas qu'un " reflet " de transformations sociales et économiques plus générales. Quelles sont, en évitant les anachronismes et les risques de redondance, les similitudes et les différences, les interruptions et continuités, les impasses et avancées ? Voilà une des questions qui traverse ce livre.
Car l'essentiel est la mise en perspective des émeutes contemporaines, et plus encore, de ce qu'il faut bien appeler les émeutes de la mort, en France. C'est à peine s'il en reste des traces, vite effacées, oubliées. Nous sommes déjà passés à autre chose - comme après les attentats terroristes, l'épisode du Covid-19, la victoire politique du Rassemblement national (RN) -, aspirés par l'accélération vertigineuse du temps. Jusqu'au prochain drame et à la répétition des mêmes discours et des mêmes arguments - lassants. Conjurer l'oubli, le défaire, est impératif pour saisir les différentes causes des émeutes et entendre la parole des acteurs de l'ombre faisant irruption sur le devant de la scène - sans rien régler, l'émeute étant, précisément, ce reste : de l'inconciliable. -
Les seins des femmes sont-ils le siège visible, désigné, ressenti du féminin ? Ils sont en tous cas au coeur de tensions à la fois intimes et sociales, voire politiques, enjeu de l'assignation des femmes à des normes immémoriales et lieu d'une émancipation revendiquée. Cet essai en dévoile les mille et un signaux à travers une enquête où les femmes livrent leur expérience vécue.
Ronds, fermes et hauts, ni trop petits ni trop gros, à la fois sexy et nourriciers, les seins des femmes sont l'objet d'assignations, d'injonctions et de fantasmes innombrables. Or l'expérience de chacune et de chacun est bien loin de se conformer à ces idéaux. Ces standards sont donc fréquemment vécus comme un poison et les seins réels invisibilisé.
Camille Froidevaux-Metterie a mené une enquête auprès de femmes de tous âges, qui déroulent le fil de leur existence au prisme de leurs seins : de leur apparition au port du soutien-gorge, de la séduction au plaisir sexuel, du poids des normes esthétiques à la transformation volontaire ou contrainte par la chirurgie, de l'allaitement à la maladie... Grands oubliés des luttes féministes, appartenant à la fois à la sphère intime et à la sphère sociale, les seins condensent le tout de l'expérience vécue du féminin contemporain, soit ce mixte paradoxal d'aliénation et de libération. Ce constat s'inscrit dans une dynamique puissante que l'autrice appelle « tournant génital du féminisme », mouvement de réappropriation du corps des femmes dans ses dimensions les plus intimes : mieux connaître les organes génitaux et leur fonctionnement, lutter contre les violences sexistes et sexuelles, revendiquer l'accès à une sexualité libre et égalitaire placée sous le signe du consentement. Dans la pluralité de leurs formes et la liberté de leur condition, les seins participent de ce mouvement.
Au cours de son enquête, l'autrice a réalisé des portraits des seins des femmes qui évoquent avec force en regard des verbatims et de l'analyse de cette « expérience vécue des seins ».
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Féminisme : mot explosif, chargé de batailles, d'identifications et de contradictions. Mot d'importance donc pour la collection Le mot est faible, dont la professeure en études de genre Éléonore Lépinard s'empare ici avec brio pour le recharger d'une exigence toujours renouvelée de penser ses propres contradictions et de réinventer de nouvelles pratiques d'émancipation.
Si le mot " féminisme " est explosif, c'est qu'il serait pour certain·es porteur d'excès, d'une demande d'égalité risquant de renverser l'ordre établi, d'un désir d'imposer de nouvelles identités ou de prescrire un nouveau langage. Le féminisme brûle en effet : des " pétroleuses " incendiaires de la Commune de Paris, aux soutiens-gorges que les féministes du Mouvement de libération des femmes auraient brûlés, ces mythes tenaces associent dans notre imaginaire collectif les féministes avec un feu ravageur. L'incandescence de ce mot est aujourd'hui ravivée, à coups de hashtags, de témoignages et de colères rendues publiques, de manifestations et de chorégraphies à dimension planétaire.
Il y a aussi danger quand certain·es voudraient non pas s'opposer au féminisme et à ses demandes, mais au contraire se l'approprier, en donner une définition commune et légitime pour toutes celles et ceux qui voudraient se revendiquer de ce projet politique. Les luttes pour imposer ce que devrait être le " vrai " féminisme, sont aussi chargées d'affects, d'histoires et de conflits. Les rassemblements de toutes, #NousToutes, contrastent avec les conflits et colères, les #NousAussi clamés par les exclu·e·x·s d'un discours qui se veut universaliste mais qui ne manquerait pas de toujours ériger des frontières, des clôtures autour d'un " bon " féminisme, accessible à certaines et pas à d'autres.
Il faut dire qu'avec les féminismes revendiqués de Beyoncé, de Sheryl Sandberg, de Chimamenda Ngozi Adichie, d'Élisabeth Badinter, d'Annie Ernaux, d'Amandine Gay, d'Adèle Haenel... ou d'Emmanuel Macron, on dispose d'autant de versions, contradictoires, opposées, oxymoriques ou alliées à explorer. La tendance à qualifier le féminisme indique que ces versions semblent pouvoir se multiplier à l'infini : business feminism, féminisme radical, féminisme néolibéral, féminisme matérialiste, afro-féminisme, transféminisme, féminisme queer, écoféminisme... Devant cette avalanche de tendances on peut se demander si le mot a vraiment encore un sens, s'il peut désigner un projet commun dont les contours seraient identifiables. Comment un mouvement qui semble s'énoncer au nom d'un sujet qui a l'apparence de l'évidence, les femmes, peut-il s'avérer si protéiforme ? Comment peut-il être étiré jusqu'aux limites de ses possibilités et de son histoire puisqu'il devient revendiqué par des fractions de ceux-là même qui l'ont tant combattu, les idéologies de droite voire d'extrême droite ? Y a-t-il encore un dénominateur commun ? Le féminisme est-il voué à l'éclatement et la récupération ou peut-il continuer de nourrir nos imaginaires, nos désirs, nos luttes et nos vies ?
L'autrice défend ici brillamment que ces luttes et ces conflits sont essentiels au féminisme, au sens où ils en constituent l'essence même et sont aussi essentiels à sa dynamique propre. Pour autant, accepter l'importance de ces conflits n'est pas céder au relativisme : toutes les versions du féminisme ne sont pas bonnes à adopter ou équivalentes. Loin de là. Le féminisme porte une exigence toujours renouvelée de penser ses contradictions, de répondre à celles qui en contestent les frontières, de réinventer de nouvelles pratiques d'émancipation. -
La tradition : bonne à n'être que le nom d'une baguette ou la revendication du conservatisme ? Voilà un mot apparemment usé et amoindri, dont les auteurs font le tour et qu'ils interrogent en regard de la " modernité ", rappelant aussi qu'elle fut au coeur de l'entreprise des sciences sociales.
C'est un mot usé, fatigué, élimé parce qu'il a été beaucoup utilisé. À moins que l'amoindrissement de sa charge sémantique ne relève plutôt d'une discordance avec l'époque. La tradition ne serait plus à la mode. Paradoxalement. Repris à l'envi dans la communication patrimoniale qui vante l'authenticité, le chez-soi et l'immémorialité, ce mot subit, au même moment, un racornissement de son domaine d'assignation. Bonne à n'être qu'un slogan pour des publicités peu inspirées, coincée dans l'étau de l'injonction mémorielle et du colifichet touristique, la tradition se fait rigoriste à l'autre bout du portefeuille langagier. Les " tradis ", ce sont, pour beaucoup d'entre nous, ces autres, dont nous peinons quelquefois à comprendre, sur fond de " Manif pour tous " et de soutanes tout droit sorties de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, un argumentaire et des attitudes qui relèvent de son orthopraxie. Une tradition en majesté en quelque sorte, éloignée de ce qu'elle est de fait : bien moins la lecture littérale d'un dogme qu'une somme d'interprétations d'un noyau dur qui sert in fine d'entregent à des signifiants flottants.
Disqualifiée la tradition par le trop-plein et le trop peu ? L'on pourrait dire la même chose de la modernité. Que sa progressive mise à l'index, surtout à compter des années 1970, renvoie à toutes sortes de relectures ouvrant sur le souhait de clore ce qui serait une parenthèse désenchantée de l'anthropocène en est une autre. Tandis que des mots retrouvent de leur lustre pour dire et faire dire l'époque - le fond de l'air serait à la radicalité et à la réaction -, d'autres dépérissent tranquillement dans la sphère communicationnelle. Pour des raisons différentes, la pléthore de l'insignifiance pour la première et une aversion galopante pour la seconde, tradition et modernité, en un couple qui régna en maître sur nombre de travaux menés dans les sciences sociales des Trente Glorieuses aux fins de circonvenir la question latérale du changement ou, plus exactement, de l'évolution, ne font donc plus recette.
Toutefois, ne faire de la tradition (un ensemble d'énoncés, d'actes, de représentations et de croyances qui se transmettent de génération en génération) qu'une arme au service d'une idéologie de la différenciation négative ne saurait restituer toutefois ce qu'elle fut aussi : un moyen de cerner des sociétés en s'interrogeant précisément sur l'effectivité et la pertinence de ce que l'on plaçait derrière le mot tradition, soit un opérateur pour les sciences sociales qui mérite d'être pris en compte. -
Dans la France du XXIe siècle, on attend beaucoup de la laïcité, devenue injonction, au risque de devenir discriminatoire dans le discours juridique et politique. Laïcité, donc, un mot fort aux enjeux de taille pour notre société, décrypté de manière limpide par la professeure de droit Stéphanie Hennette-Vauchez.
Parangon des valeurs républicaines qui connaissent un regain d'exaltation dans le discours juridique et politique, la laïcité se fait métonymie de la République. On lui demande alors de trancher une multitude de questions. A-t-on le droit de porter des tenues religieuses - à l'école, au travail ou à la piscine ? Comment lutter contre le communautarisme ou le séparatisme ? Ne faudrait-il pas accroître les limites à la liberté d'expression ?
Face à cette hypertrophie du champ et de la portée souvent conférée dans le débat public à la laïcité , l'autrice propose ici une analyse juridique du principe. Le propos poursuit deux objectifs principaux. Le premier est de rappeler que la laïcité est d'abord un principe visant à organiser les rapports entre l'État et les cultes - et non un principe censé réguler les conduites individuelles ou collectives. Est restituée l'histoire moderne du principe (XIXe-XXe siècles) et les trois principes dans lesquels se décline alors la laïcité sont présentés : séparation (des Églises et de l'État), garantie (de la liberté de culte) et neutralité (des autorités publiques). Dans un second temps, l'ouvrage documente et analyse les multiples bouleversements de ce régime républicain et libéral de la laïcité. Il s'agit en particulier de revenir sur les multiples réformes qui, depuis le début du XXIe siècle, tendent à en faire un principe qui met l'accent sur les restrictions davantage que sur la garantie de la liberté religieuse, via, notamment, des obligations multipliées de discrétion sinon de neutralité religieuse qui pèsent désormais sur les personnes privées.
L'analyse de ces mutations est critique, tant du point de vue de la non-neutralité de cette nouvelle laïcité qui s'érige en authentique injonction que du point de vue de son potentiel discriminatoire (vis-à-vis, en particulier, de l'islam). -
Classe : historiquement, le mot est fort, associé à une remise en cause radicale de l'ordre social ; aujourd'hui, il est affaibli et ne cristallise plus les oppositions politiques, alors que les inégalités de conditions de vie et de travail sont toujours présentes. Il s'agit ici de redonner son tranchant à la classe sociale comme concept et instrument politique d'émancipation.
Pour point de départ, il y a un paradoxe : le mot classe se trouve affaibli aujourd'hui, alors même que la domination capitaliste se radicalise depuis quarante ans. Le sens associé au concept s'est en effet transformé ; le pluriel (classes populaires, classes supérieures ou classes dominantes) a remplacé le singulier de la classe ouvrière et de la bourgeoisie pour désigner les classes et, chez les chercheurs en sciences sociales, l'accent est mis sur la pluralité des conditions socio-économiques et des rapports à la culture et à la politique davantage que sur les formes d'unité. Dit autrement, la classe ouvrière ne constitue plus le sujet historique des transformations sociales dans le discours et l'organisation des forces de gauche.
Pour comprendre le paradoxe, il est nécessaire de faire évoluer la définition du mot en lien avec les transformations du capitalisme. L'affaiblissement de la classe est alors à mettre en relation avec la fin d'une configuration historique spécifique : les nouvelles formes de capitalisme qui se sont développées depuis les années 1970 nécessitent de repenser le concept de classe en tant qu'elles fabriquent un type de rapport d'exploitation mais aussi de marchandisation de la monnaie, du travail et de la nature. Ces transformations ne sont pas uniquement économiques, elles se jouent aussi dans les formes de sociabilités, de solidarités et de culture dans lesquelles se forment et se reforment les classes sociales. Ces recompositions sociologiques impliquent dès lors de rompre avec la vision d'une classe ouvrière synonyme de prolétariat industriel pour en redéfinir les contours.
Redonner sa force au mot classe implique également de ne pas en faire un isolat et une chose statique, qui nierait d'autres formes de dominations telles que le genre et la race. Autrement dit, les inégalités de genre, de race ou d'origine migratoire ont une base matérielle dans le capitalisme contemporain qu'il s'agit de prendre au sérieux. La configuration contemporaine invite ainsi à réinventer le processus d'affirmation du mot de classe, en y articulant positivement dans une perspective d'émancipation l'imbrication des rapports de domination. De ce point de vue, les expériences des luttes sociales récentes (par exemple la mobilisation des femmes de chambre de l'hôtel Ibis Batignolles) fournissent des points d'appui pour imaginer un réarmement du mot classe sans affaiblir les autres. -
Dans la veine propre à la collection Le mot est faible, ce nouveau titre revient, sous l'angle du droit, sur l'histoire de la nationalité française inventée à la fin du xixe siècle et utilisée depuis pour fabriquer des étrangers et les soumettre à des régimes plus ou moins sévères et cruels suivant les besoins du marché du travail.
De définition univoque de l'étranger. Il se définissait par défaut comme celui qui n'appartient pas à la communauté et il existait donc autant de figures de l'étranger que de manières inventées par les humains de former communauté. Ce flou entourant la notion d'étranger a aujourd'hui disparu. L'État-nation s'est approprié le concept pour en dessiner les contours au scalpel : l'étranger est celui qui n'a pas la nationalité de l'État sur le territoire duquel il se trouve. Désormais attribuée de manière certaine par l'effet du droit, la nationalité sépare irrémédiablement le national et l'étranger pour soumettre ce dernier à un régime spécial, arbitraire, plus ou moins sévère et cruel suivant les besoins de l'économie et les considérations politiques du moment. Et lorsqu'on se penche sur la condition des personnes étrangères en France, on observe un droit ségrégationniste - ce qui semble largement admis - et un racisme systémique de l'État et ses institutions, qu'elles nient avec un cynisme de moins en moins feutré.
L'un des enjeux de l'ouvrage est de montrer que la catégorie d'étranger - opposée à celle du national - n'a rien de naturel. En revenant sur la fabrique de la nationalité française à la fin du xixe siècle, on comprend qu'elle n'est pas un attribut de la personne humaine et que la qualité d'étranger, définie en creux, l'a été depuis son origine par l'État à des fins utilitaristes. Satisfaire le marché du travail et organiser la ségrégation des candidat·es suivant leur origine, voilà les deux axes inconditionnels de la politique migratoire française. Lorsque le besoin de main-d'oeuvre peu qualifiée baisse dans la dernière partie du xxe siècle, la France puis l'Europe tout entière cherchent à entraver l'arrivée de nouveaux migrants , notamment grâce à des systèmes juridiques et policiers toujours plus sophistiqués. Ces dispositifs de gestion des flux obligent les personnes qui veulent gagner l'Europe à mettre leur vie en jeu et - c'est un phénomène nouveau - elles sont des milliers à mourir chaque année sur les routes de l'exil.
Si tout cela est possible, s'il existe des milliers d'agents étatiques pour mettre quotidiennement en oeuvre ces politiques inégalitaires et féroces, c'est qu'elles sont largement habillées par le droit. Le droit est en effet un outil terriblement efficace : il confère à cet édifice macabre sa légitimité, tandis que l'enchevêtrement des textes et l'abstraction des catégories juridiques tiennent le réel à distance. -
Non le concept d'intersectionnalité ne représente pas un danger pour la société ou l'université, ni ne fait disparaître la classe au profit de la race ou du genre. Bien au contraire, cet outil d'analyse est porteur d'une exigence, tant conceptuelle que politique. Une synthèse nécessaire, riche et argumentée, pour comprendre de quoi on parle Les attaques contre les sciences sociales se font de plus en plus nombreuses. À travers elles, ce sont certains travaux critiques qui sont particulièrement visés, notamment ceux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l'intersectionnalité.
À partir d'un article de 2019, devenu référence et paru dans la revue Mouvements, entièrement revu et actualisé, voici, pour toutes et tous, une synthèse salutaire et nécessaire sur ce qu'est réellement la notion d'intersectionnalité. Les autrices, sociologues, s'attachent d'abord à rappeler l'histoire du concept élaboré il y a plus de trente ans par des théoriciennes féministes de couleur pour désigner et appréhender les processus d'imbrication et de co-construction de différents rapports de pouvoir - en particulier la classe, la race et le genre. Il s'agit ensuite de s'interroger sur les résistances, les " peurs ", les discours déformants et autres instrumentalisations politiques que l'intersectionnalité suscite particulièrement en France. Mais justement, défendre les approches intersectionnelles, n'est-ce pas prendre en compte, de manière plus juste, les expériences sociales multiples et complexes vécues par les individu·es, et donc se donner les moyens de penser une véritable transformation sociale ?
Pour l'intersectionnalité : " Qui nos institutions académiques accueillent-elles et quels savoirs valorisent-elles et font-elles éclore sont donc deux questions indissociables. Et ce n'est qu'en tentant d'y répondre et en donnant toute sa place à des travaux potentiellement porteurs de transformation sociale pour les groupes marginalisés que l'enseignement supérieur et la recherche pourront continuer de jouer un rôle politique et social en France, car elles produiront une recherche scientifique qui renouvelle notre compréhension du monde social et le donne à voir dans sa complexité. " Éléonore Lépinard et Sarah Mazouz. -
La Paix des ménages - Histoire des violences conjugales XIXe-XXIe siècle
Victoria Vanneau
- Anamosa
- Chaki
- 7 Décembre 2023
- 9782381910796
Si la question des violences conjugales est aujourd'hui présente dans les médias et l'espace public comme un " fait de société ", nommé et condamné, leur lente définition n'avait été écrite. C'est chose faite avec ce livre, contribution majeure à la compréhension du XIXe siècle et à la définition de ces " brutalités domestiques ", et désormais disponible en poche.
À l'heure où les historiens s'emploient à revisiter la place de l'État dans l'organisation des sociétés, ce livre est une contribution majeure à la compréhension historique de la place du droit et de la justice dans le processus de pacification des moeurs qui tenaille tant le xixe siècle. Nourri des centaines d'affaires de violences conjugales dont les tribunaux n'ont pas cessé d'être saisis, il souligne la difficulté de saisir ces violences bien particulières, plonge le lecteur dans l'ambiance des tribunaux et fait le pari de se placer au plus près des magistrats qui traitent ces affaires. Y apportant des arguments solides et historiquement fondés, il permet également d'alimenter les débats citoyens et d'aller à l'encontre de certaines idées reçues : les hommes battus existent aussi, le xixe siècle ne fut pas que celui du " droit de correction " et peut-être, ayant fait de ces violences un " fait de droit " et non pas un " fait de société ", savait-il mieux les punir qu'aujourd'hui. -
Depuis quelques années, les mots « décolonial » et « décolonialisme » ont fait leur apparition dans le débat public français : dans les tribunes, discours, essais ou encore éditoriaux divers. Ils y occupent une place très particulière, celle du mot qui divise en prétendant défendre l'unité, celle du mot qui agit en prétendant se contenter de décrire, celle de la victime contre l'ennemi qui menace.
Comme nombre de titres de la collection Le mot est faible, l'objectif de l'ouvrage est de réussir à tenir ensemble et à montrer dans leur complexité, dans un essai très argumenté, les transformations de la visibilité de certaines approches épistémiques contre-hégémoniques à l'échelle mondiale (le mouvement décolonial n'étant pas le seul existant, mais sans doute l'un des plus repris actuellement dans d'autres régions du monde, notamment en raison de son affinité sémantique avec l'idée de décolonisation) et les logiques de résistance - politiques et intellectuelles - qui s'exercent en France à l'égard de ces transformation en raison de l'homologie discursive entre la défense de l'universalisme républicain et la défense de l'universalisme scientifique dans une version calquée sur le « point de vue de nulle part ».
L'ouvrage ne vise pas à s'engager pour ou contre telle ou telle approche. Il essaiera non pas de rester neutre, mais de plaider pour un engagement académique (peut-être plus assumé que l'engagement intellectuel qui se pratique au nom d'idées universelles sans dire son nom propre), tout à la fois réflexif et situé, attentif à saisir à quel point et de quelle manière l'ethnocentrisme - pas seulement eurocentré - invite au binarisme pour mieux essayer de réfléchir aux conditions de possibilité de l'instauration d'un dialogue scientifique plus large, ouvert au(x) monde(s) et à une forme d'universalité différente (qu'on l'appelle « pluriverselle » ou tout simplement « plurielle ») -
Alors que le mot révolution sert à vendre à peu près n'importe quoi et n'importe qui, ce livre fort et joyeux montre comment il a été domestiqué par tous les pouvoirs depuis le xixe siècle et comment, en le prenant de nouveau au sérieux là où il veut dire quelque chose, il est possible de renouer avec la puissance et la promesse imaginatives des processus révolutionnaires.
Le mot révolution se prête désormais à tout. Il sert à vendre des yaourts ou des chaussures aussi bien que les idées de campagne, pourtant très libérales, du président Macron. Il est temps de lutter contre ces détournements. Ludivine Bantigny, spécialiste renommée et engagée de l'histoire des luttes contemporaines, et notamment de Mai 68, montre ici combien les révolutions ont été l'objet d'un intense travail de domestication. Les élites du xixe siècle se sont montrées obsédées d'en finir avec elles, d'en dompter les élans et d'en effacer les traces. Celles du xxe siècle, en les célébrant, en les commémorant avec faste, n'ont pas cessé de les apprivoiser au point qu'elles n'inquiètent plus personne. Mais arracher le mot à la langue feutrée du pouvoir, qu'il soit économique ou politique, ne suffit pas. Il faut en retrouver le sens en acte. En prenant pour appui les mouvements de lutte contre le capitalisme, comme ceux du Chiapas, ce livre vigoureux libère avec bonheur la force des espérances, des rencontres et des potentialités que font naître les révolutions. -
Sensibilités n.13 : La fête, nuit et jour
Kunth Anouche
- Anamosa
- Sensibilites
- 23 Janvier 2025
- 9782381911113
Du bleu profond au jaune éclatant, la nouvelle livraison de
Sensibilités décline les pouvoirs de la fête. Rituels silencieux ou vacarmes intempestifs, déplacements de soi, tintamarre de foules subversives, introspections et métamorphoses en sont d'indispensables ingrédients, des confins d'une île irlandaise aux rives du Nil, des bacchanales antiques aux nuits dakaroises.
La fête tisse des liens profonds avec le jeu, le rire, l'ivresse, les drogues, le chant ou la danse, lesquels favorisent l'effervescence collective et les communions émotionnelles. La fête rompt avec l'existence quotidienne et banale, affranchit les individus de la morale commune et des rôles sociaux traditionnels. Dans ce dérèglement des sens, où s'exprime un intense besoin d'échappée du temps routinier et profane, l'on cherche à vivre plus. Ouvrant sur la pure jouissance de l'instant et l'éternité de son souvenir, la fête est l'un des faits anthropologiques les plus profonds, un des lieux privilégiés où se fabrique du sacré, intime autant que collectif. Reste toutefois à décrire l'infinie variété de ses formes, intensités et significations, selon les latitudes et les époques. Ne serait-ce qu'à scruter l'histoire longue de l'Occident, pensons à ce qui s'est transmis, comme autant de filiations conscientes ou de survivances méconnues. Des bacchanales grecques aux saturnales romaines, des fêtes des fous aux charivaris, danses de Saint-Guy, tarentelle des Pouilles, fêtes galantes de la cour, et bals masqués plus tardifs... D'ailleurs, que reste-t-il du carnaval aujourd'hui ? Où sont passées les
rave party ? Jusqu'où la police des moeurs et la rationalisation des comportements ont-elles eu raison des formes les plus paroxystiques et transgressives de la fête ? Dans ce 13e numéro, la revue
Sensibilités voudrait explorer l'homo festivus sous toutes ses coutures, non sans rappeler, dans ce temps de crises incessantes et de désespérance, les vertus vivifiantes des communions festives. -
La langue française est le produit d'une histoire. Elle s'est patiemment construite à partir du xviie siècle, à la faveur de préoccupations d'ordre plus souvent politique que culturel. Homogénéisée, fixée, standardisée au motif d'affermir l'unité nationale, la langue a progressivement mis de côté la diversité des pratiques langagières que, par ailleurs, librement, continue de recueillir l'activité de parole.
Au nom de sa domination, la langue a entraîné des hiérarchisations propres à dévaloriser des formes non institutionnalisées ou non écrites remisées dans des catégories mal perçues : patois, dialectes, pidgins, mélanges, petit-nègre, etc. Au temps de la colonisation, ces hiérarchies ont été exportées afin d'imposer la langue dite civilisée du colon aux locuteurs des langues africaines mésestimées : sans écriture, sans complexité, sans « grammaire », celles-ci n'étaient pas considérées comme de vraies langues. Il n'empêche : « kan » en bambara, ou « làkk », en wolof, ne désigne pas tant la « langue » que « le parler » ou même toute manière de communiquer dont dispose un ensemble de personnes à un moment donné dans un espace donné... De sorte que c'est à une tout autre façon de penser le langage que nous porte la considération rendue aux pratiques langagières.
Observer la vie du langage à partir de la notion de « parole » change la manière même d'appréhender la société et l'histoire. À travers les particularités liées aux interactions, aux dialogues, aux échanges que suppose ce terme, il paraît salutaire de vouloir repenser la perspective : à rebours de ce que montre un examen de l'imposition du discours managérial à dominante autoritaire en milieu néolibéral, parler constitue à la fois un devenir et un moyen d'émancipation.
En observant l'éclosion d'une parole libre en 1968 ou plus récemment, en 2019-2020, celle des Gilets Jaunes, en se penchant sur la profusion langagière avec l'exemple du nouchi de Côte-d'Ivoire, ce livre se veut un retour à la parole comme force vive des rapports humains face aux rapports de pouvoir que cherche à instaurer la prévalence de « la » langue.
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École est un mot doux qui nous promène entre le parfum de l'enfance et les charmes de la connaissance. Certains la rêvent sanctuarisée, protégée des violences du dehors. Mais c'est tout l'inverse, et c'est tant mieux, à condition d'accepter d'en débattre franchement, et de reposer sur ses bancs les termes d'une école résolument émancipatrice, donc définitivement politique.
Après Peuple et Révolution, un nouveau titre dans la collection "Le mot est faible" : École, dont s'empare avec brio l'historienne et enseignante engagée Laurence De Cock.
« Notre société a tout à gagner à voir s'accomplir un vrai projet d'école démocratique. C'est aux plus dotés de prendre conscience de la carte qu'ils ont à jouer sur ce terrain. C'est à nous donc, nous dont les enfants ont le plus de chances de traverser l'école aussi facilement qu'une rue piétonnière, de considérer que c'est une opportunité de travailler entre les mêmes murs que des enfants moins chanceux. À nous encore de déjouer les pièges des classes de niveaux, des filières d'élites, des filons pour contourner la sectorisation des établissements. À nous aussi de batailler au côté des familles les plus socialement discriminées pour leurs droits à scolariser et accompagner leurs enfants.
À toutes et tous enfin de veiller sur chacun des enfants de ce monde, d'où qu'ils viennent, pour l'abolition des privilèges, et pour que l'émancipation des un.e.s ne puisse dépendre que de celle des autres. » Laurence De Cock
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« Je fais partie du peuple », « je veux défendre le peuple », « «les gens», c'est le peuple » : les dernières élections présidentielles ont vu plusieurs candidats, retrouvant des accents déjà anciens, prendre possession du mot. Certains, dénonçant la montée du populisme, opposent désormais la nécessité de ne pas abandonner le peuple à tous ces détournements. Mais le mot, fétichisé, est sans doute plus trompeur que jamais. S'agit-il de parler d'une entité nationale douée de souveraineté, de décrire une catégorie de femmes et d'hommes formant la « classe populaire » ou de mobiliser, toujours avec un brin de nostalgie, le symbole un peu vite unifié des révoltes venues d'en bas ?
Avec force, Déborah Cohen, en historienne convaincue que les mots ne font pas que désigner le monde mais qu'ils le construisent, pose ici le problème tout autrement. Il n'est plus temps, selon elle, de s'en tenir à reconquérir le mot peuple. Ce qu'il faut c'est se demander ce qui nous manquerait vraiment à l'abandonner. En montrant que les luttes d'aujourd'hui se livrent sans recourir aux mots hérités du passé, elle invite à saisir le peuple, ni mythe ni entité en soi, là où il est, dans les mobilisations qui le font vivre à présent.
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Si le "dire vrai" et le "faire science" sont vitaux dans nos sociétés traversées par de multiples crises, des controverses sur les innovations technologiques au Covid-19, les mésusages de la science prolifèrent pourtant. Assumant à la fois sa charge polémique et un attachement à la connaissance scientifique pour elle-même, cet essai renoue avec un idéal éthique de la science.
La " science " évoque des réalités très contrastées. Le mot est encore doté d'un certain prestige dans les sociétés où sa pratique a été mise en avant à raison. En ce sens, il dénote une recherche de la vérité qui, depuis l'essor des institutions scientifiques modernes tout au long du 19e siècle, n'ont pas cessé d'inspirer des communautés savantes toutes disciplines confondues. Ce sens n'en est pas moins relativisé aujourd'hui, car il sert à tout et n'importe quoi, notamment à faire passer des opinions pour plus vraies qu'elles ne le sont ou à faire prospérer le commerce d'usurpateurs. Sociologue des sciences et techniques, Arnaud Saint-Martin rétablit la pertinence de lieux communs et d'idées fondatrices de la science telle que nous devrions l'entendre. À partir d'exemples choisis, de la pratique de l'astronomie et d'autres sciences, il explique pourquoi il n'a jamais été aussi important de défendre l'établissement de vérités et de connaissances robustes sur le monde qui nous entoure. Cette recherche revêt en plus une grande valeur culturelle et appelle un certain sens du partage, les connaissances scientifiques constituant un patrimoine commun à entretenir quoi qu'il en coûte. On comprendra à la lecture que la défense et illustration de cette recherche sans fin est solidaire d'une politique de la science. -
Je soussigné(e) certifie que mon déplacement est lié au motif suivant... Chacun d'entre nous se souvient de ces auto-attestations à remplir comme du confinement qui les accompagnait. Cet ouvrage a pour ambition de revenir sur ce moment littéralement extra-ordinaire au regard des questions qu'il a soulevées en matière de suspension des libertés et d'obéissance collective.
Du printemps 2020, chacun d'entre nous garde le souvenir des attestations à remplir, des limites qu'elles imposaient et des vérifications policières qu'elles autorisaient. Pourtant, rares sont les bilans consacrés à ce versant coercitif de l'enfermement national. C'est tout l'enjeu de cette enquête. Pendant 55 jours, les forces de l'ordre firent le vide sur l'ensemble du territoire, y compris dans les espaces naturels que survolaient des drones et des hélicoptères. Assistées par d'improbables auxiliaires et de nombreuses délations, elles procédèrent à 21 millions de contrôles et infligèrent 1,1 million d'amendes. Cette situation où tout le monde, aisé ou pauvre, habitué à donner des ordres ou à en recevoir, était soumis aux mêmes interdits et aux mêmes vérifications, apparaît historiquement singulière. Elle offre l'opportunité d'étudier grandeur nature la production du conformisme (qu'est-ce qu'obéir à l'État ?) et son ancrage social. De la claustration totale au refus des règles, cet ouvrage suit les lignes de conduite qu'empruntèrent les confinés, soumis à une surveillance massive dont on trouvait alors, en Europe et dans le monde, bien peu d'équivalents. -
Sensibilités : Race, l'ombre portée - revue Sensibilités - N° 12
Sarah Mazouz, Thomas Dodman
- Anamosa
- Sensibilites
- 25 Janvier 2024
- 9782381910833
Si les sciences sociales ont montré comment la race est un fait non pas biologique mais social, construit par des logiques d'infériorisation, Sensibilités s'attaque précisément ici aux pratiques et aux expériences incarnées. Variant dans le temps et d'un lieu à l'autre, la race se construit et se déconstruit au plus près des corps et des affects.
Les travaux critiques de la race s'efforcent de montrer la différence qui existe entre race et marqueurs corporels racialisés. Ils découplent ainsi la race de la couleur de la peau et plus largement d'autres caractéristiques corporelles, comme les cheveux, les traits du visage ou même la forme du corps, pour montrer comment ce sont les logiques de racialisation à l'oeuvre dans tel ou tel contexte historique, politique et social qui vont donner un sens racialisant à tel ou tel aspect. Ces logiques peuvent aller jusqu'à inventer des différences phénotypiques (le teint censément basané des Suédois dans les colonies britanniques d'Amérique du Nord ; certains traits du visage qui seraient caractéristiques des Coréens et Coréennes au Japon ou encore l'idée d'un type juif inventée par l'antisémitisme).
Travailler de manière critique sur la race, c'est donc montrer que la race est un rapport de pouvoir abstrait qui sert à catégoriser et hiérarchiser des groupes humains au nom de leur origine géographique, culturelle ou religieuse, créant ainsi une condition sociale. C'est, de ce fait, montrer également que ce sont les logiques de racialisation qui viennent justement produire concrètement ces catégorisations et hiérarchisations en s'appuyant à chaque fois de manière différente selon les lieux et les époques sur le corps. Les caractéristiques physiques sont alors utilisées comme la manifestation de l'altérité prétendue radicale qui existerait entre groupes infériorisés racialement ou racisés et groupes qui infériorisent racialement. Dit autrement, la race ne préexiste pas aux logiques de racialisation qui s'en réclament ; elle en découle.
Ce numéro de Sensibilités met ainsi en évidence le jeu complexe entre race et corps en soulignant leurs articulations mouvantes, variées, labiles et toujours situationnelles, de la Grèce Antique aux fêtes en banlieue, de l'Inde à la Tunisie, en passant par les pieds de danseurs, la fierté d'un penseur, le sang, les gènes et les sens. Ce faisant, analyser la dimension corporelle de la race, loin de la naturaliser, sert bien plutôt à réaffirmer son caractère construit historiquement et socialement - tout en rendant explicite, en nommant et en questionnant les rapports de pouvoir ainsi produits. -
Le syndrome de la chouquette ou la tyrannie sucrée de la vie de bureau
Nicolas Santolaria
- Anamosa
- 15 Mars 2018
- 9791095772408
La machine à café, l'open-space, la disparition des frontières entre vie privée et vie professionnelle, les pots d'entreprise, le harcèlement olfactif, la pratique de la trottinette, les cafés envahis par les MacBook des indépendants... En une cinquantaine de chroniques, Nicolas Santolaria, journaliste au regard affuté, explore l'univers que nous partageons tous, celui du travail tel qu'il se pratique aujourd'hui. Des situations cocasses ou embarrassantes aux « tics » contemporains dans les échanges relationnels, du langage mâtiné d'anglais aux nouvelles théories de management, farfelues ou proprement effrayantes, sans oublier les névroses plus ou moins sérieuses que cela génère, tout passe au crible de la plume alerte de l'auteur.
Loin de n'être qu'humoristiques, ces chroniques, dans une démarche proche des mythologies de Barthes, sont également nourries de références, qui permettront au lecteur curieux d'aller plus loin sur certains sujets.
Organisé en cinq parties (Lieux et objets ; Pratiques ; Bien-être et névroses ; Langage ; Relations humaines), le livre est rythmé d'illustrations de Matthieu Chiara, également auteur de la couverture.
Une lecture de détente... au bureau (ou pas) !
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Enfants battus, abandonnés, discriminés parce que handicapés et pourchassés en temps de guerre, vagabonds du XIXe siècle ou " mineurs non accompagnés " d'aujourd'hui, des banlieues de Turin à La Réunion : la nouvelle livraison de la RHEI s'empare de la figure de l'enfermement et de l'enfance maltraitée dans la bande dessinée à travers l'histoire.
Qu'il s'agisse de mineur·es ayant commis des écarts à la loi ou aux normes, ou de l'enfance victime de mauvais traitements, l'enfance " irrégulière " peuple notre environnement et nos imaginaires. Ces enfants mis en cage sont tout à la fois des sujets bien réels de notre actualité (de la guerre aux violences sexuelles) et des personnages de légende, au point que leurs figures forgent une véritable culture. En tant que forme d'expression artistique et populaire, la bande dessinée est ainsi historiquement habitée de cette thématique. Pour en établir le spectre, deux spécialistes de l'histoire de la justice pénale et de la jeunesse ont sollicité la contribution de chercheurs à l'intersection de l'histoire et de la critique littéraire, du documentaire et de la fiction. Trois grandes familles se sont dégagées.
L'enfance violentée par les adultes est décrite comme un trait culturel omniprésent des sociétés de l'océan Indien, les chercheurs invoquant aussi bien le registre humoristique de Tiburce (Titeuf de La Réunion) que l'histoire avec la question des " enfants de la Creuse ". Autre exemple, autres îles avec Osamu Tezuka, le mangaka culte (auteur de Astro Boy) avec la série Ayako relatant le destin d'une jeune fille séquestrée dans la société corsetée du Japon d'après-guerre pour dissimuler un viol incestueux. C'est enfin l'iconique incarnation du mal, Monsieur Choc, lui-même victime de traumatismes vécus pendant l'enfance, dans l'Angleterre sombre de l'entre-deux-guerres.
Vient ensuite la figure du jeune vagabond à l'origine d'immenses succès commerciaux. Jean-Jacques Yvorel dresse un panorama de ce personnage dans l'histoire de la bande dessinée, de Gavroche mis en cases par le célèbre Giffey dans les années 1950 aux MNA d'aujourd'hui. Mais c'est aussi Don Bosco, ce prête turinois du 19e siècle qui a consacré sa vie aux jeunes délinquants et créé la pédagogie salésienne devenue une référence mondiale dans la prise en charge de la jeunesse en difficulté.
Ce sont enfin les figures d'enfants persécutés et pourchassés, que ce soit dans le contexte de la Shoah avec la série Irena, ou la question de l'albinisme, affection génétique considérée en Afrique de l'Ouest comme un handicap : des auteurs gabonais et camerounais saisissent la plume pour dénoncer ces discriminations.
En miroir, et comme pour illustrer cette culture de " l'enfance mise en cases ", un portfolio est consacré à l'extraordinaire production de Norbert Moutier. Révélée par Xavier Girard, la collection de ses oeuvres de jeunesse sont un hommage malicieux et transgressif à la culture des
comics, dignes de figurer dans un panthéon de l'art brut.
Ce foisonnant volume en quadrichromie retrace des pans de l'histoire et des techniques du 9e art, mais dresse aussi l'image kaléidoscopique d'une enfance mise en cases, entre histoire sociale et histoire culturelle. -
Sensibilités n.11 : insensibilités
Clémentine Vidal-Naquet, Anouche Kunth, Quentin Deluermoz, Hervé Mazurel, Thomas Dodman
- Anamosa
- Sensibilites
- 26 Janvier 2023
- 9782381910604
Qui veut éclairer les ressorts sensibles de la vie sociale doit affronter un jour ou l'autre le vaste continent de l'indifférence, de la désaffection, de l'absence de sentiment. Ce numéro anniversaire de Sensibilités lui en donne l'occasion. En rappelant, d'abord, que le contraire de l'émotion n'est pas tant la raison que l'insensibilité précisément : aux êtres comme aux choses.
Et l'on songe ici à ces indifférences logées au creux du quotidien. Celles qui se sont installées dans nos vies face à l'incessant chaos du monde, dans nos rues au contact de la misère sociale et affective, au sein de mégalopoles travaillées par la montée de l'individualisme. Mais cette puissance d'inattention trahit aussi, outre nos refus de voir et nos lâchetés partagées, l'anesthésie d'une sensibilité sur-sollicitée par l'information continue.
Observer l'insensibilité, c'est aussi entrevoir d'autres formes de sensibilités, parfois plus aiguës, plus intenses. L'insensibilité d'ailleurs, loin d'être seulement subie, peut être aussi désirée. Elle relève alors d'un travail, d'un façonnement des esprits et des conduites. Qu'il s'agisse des techniques d'endurcissement enseignées dans les casernes, de la distance émotionnelle minimale nécessaire aux soignants à l'hôpital ou encore de la surdité des savants à la souffrance animale dans leurs laboratoires. Plus paroxystique encore : celle de l'ascète, qui s'élève grâce à la négation de son corps ; celle du bourreau, qui ne s'exécute qu'en voulant congédier l'émotion.
L'insensibilité, degré zéro de la sensibilité, vraiment ? -
Théorème de la couche-culotte : de l'éducation comme science inexacte
Nicolas Santolaria
- Anamosa
- 10 Juin 2021
- 9791095772910
Après avoir mis sens dessus dessous le monde du travail de sa plume acérée dans Le Syndrome de la chouquette, Nicolas Santolaria, observateur perplexe de lui-même, s'intéresse dans ces nouvelles chroniques à la parentalité. Et si nos relations aux enfants était une des dernières aventures encore possibles dans la société du XXIe siècle ? Du choix d'un prénom qui en met plein la vue au casse-tête du changement de couche au radar en pleine nuit, des vertus éducatives de l'apéro aux goûters d'anniversaires pharaoniques qui finissent par ravager votre appartement, des résolutions intenables (" non, pas d'écran ! ") aux confinements qui font monter la pression (" qui m'a piqué mon ordi ? ") : la condition de parent est loin d'être un long fleuve tranquille, et chacune pourra se retrouver dans ces instantanés tendres et hystériques de la vie de famille.
Observant à la fois ses deux fils en train de grandir et lui-même dans son apprentissage de la parentalité, Nicolas Santolaria, papa hélicoptère parfois au bord de la crise de nerfs, nous livre aussi en filigrane un portrait de nos sociétés, où l'enfant est devenu l'objet d'un culte narcissique sans précédent. Face à la tentation d'une éducation un peu trop " positive ", voire programmatique, qui répondrait préventivement à tous les maux du monde et serait devenue votre nouvelle carte de visite, il est grand temps d'accepter, avec humour, cette fatalité : malgré les chauffe-biberons connectés et les guides pour devenir de " Super Papas ", nous serons toujours des parents imparfaits.
Alors relax ! Si vous avez oublié de lui faire réviser sa table de 3 et que votre enfant n'est pas le futur prix Nobel d'économie, ce n'est pas une raison pour le priver de Champomy. " (...) cet ouvrage servira, je suis sûr, à tous les professionnels de l'enfance, car le normal permet d'éclairer le pathologique. Voilà enfin de l'optimisme, de l'humour, une culture non pédante, inscrite dans le quotidien et le génie de l'enfance (...).
" Marcel Rufo, extrait de la postface.
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Enquêter sur « la guerre transmise », c'est explorer un territoire immense. Celui de la guerre elle-même, bien sûr, elle que nous pouvons tenir pour la plus importante épreuve collective que puisse traverser un acteur social - au point d'ailleurs qu'elle imprime parfois sa marque jusqu'aux heures ultimes de sa propre vie. Mais c'est aussi, d'un même élan, interroger sa transmission : par les liens puissants qu'une guerre tisse avec celles qui la précèdent ; à travers la parole des témoins, les oeuvres de écrivains, des cinéastes, des artistes ; par l'École, les musées et le politique. Elle descend ainsi les filiations par le jeu des mémoires familiales, d'une génération à l'autre, puis de celle-ci aux suivantes. Elle se transmet également par les historiens, qui font de la guerre récit, et qui oublient parfois que c'est en disant la guerre qu'est née leur discipline. Elle se transmet enfin - et peut-être surtout - par le silence, ce que les spécialistes de la psyché savent mieux que les historiens.
Dans cette dixième livraison de Sensibilités, ces derniers posent ensemble leur regard sur les expériences de guerre d'autrefois et les modalités de leur transmission sur la longue durée. Mais plutôt que de les scruter en parallèle, ce numéro tente surtout d'organiser une interlocution véritable entre approches disciplinaires, sans jamais perdre de vue le rapport personnel des chercheurs en sciences sociales ou des explorateurs de la psyché aux objets qu'il analyse.
Avec : Janine Altounian, Stéphane Audoin-Rouzeau, Jeanne Bernard, Julien Blanc, Françoise Davoine, Hélène Dumas, Pierre Judet de La Combe, Rithy Panh, Jean Rouaud, Karine Rouquet, Henry Rousso, Emmanuel Saint-Fuscien, Olivier Saint-Hilaire, Nicolas Werth.