Il
y a tant de personnes curieuses dans le monde !
Je
suis persuadé qu'on voudrait savoir pourquoi mon voyage
autour de ma
chambre a duré quarante-deux jours au lieu de
quarante-trois, ou de tout autre
espace de temps ; mais comment l'apprendrai-je au lecteur,
puisque je
l'ignore moi-même ? Tout ce que je puis assurer,
c'est que si l'ouvrage
est trop long à son gré, il n'a pas
dépendu de moi de le rendre plus
court : toute vanité de voyageur à part,
je me serais contenté d'un chapitre.
J'étais, il est vrai, dans ma chambre avec tout le plaisir
et l'agrément
possible ; mais, hélas ! je
n'étais pas le maître d'en sortir à ma
volonté ; je crois même que, sans
l'entremise de certaines personnes
puissantes qui s'intéressaient à moi, et pour
lesquelles ma reconnaissance
n'est pas éteinte, j'aurais eu tout le temps de mettre un in
folio au
jour, tant les protecteurs qui me faisaient voyager dans ma chambre
étaient
disposés en ma faveur.
Et
cependant, lecteur raisonnable, voyez combien ces hommes avaient tort,
et saisissez bien, si vous le pouvez, la logique que je vais vous
exposer.
Est-il
rien de plus naturel et de plus juste que de se couper la gorge avec
quelqu'un qui vous marche sur le pied par inadvertance, ou bien qui
laisse
échapper quelque terme piquant dans un moment de
dépit, dont votre imprudence
est la cause, ou bien enfin qui a le malheur de plaire à
votre maîtresse ?
On
va dans un pré, et là, comme Nicole faisait avec
le Bourgeois
Gentilhomme, on essaie de tirer quarte lorsqu'il pare tierce ;
et, pour
que la vengeance soit sûre et complète, on lui
présente sa poitrine découverte,
et on court risque de se faire tuer par son ennemi pour se venger de
lui.